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ARTHUR AESCHBACHER

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Arthur Aeschbacher, 20.000 lieues au-dessus de Dada
par Gérard-Georges Lemaire



N’avez-vous jamais rêvé de vous embarquer dans le Nautilus ? Vous auriez navigué dans les profondeurs insondables du vieil océan de Lautréamont et vous vous seriez émerveillés des innovations techniques de ce submersible riveté de toutes parts. Vous vous seriez régalés de tout ce confort luxueux, des ouvrages rares de la bibliothèque, de sa collection si unique de livres du second rayon, d'une décoration somptueuse et d’un goût extravagant : vous auriez découvert les exigences scientifiques, esthétiques et livresques du capitaine Nemo, que Jules Verne a baptisé d’un mot latin, qui rappelle celui qu’Ulysse s’est attribué quand il a voulu échapper à Polyphème - Outis, c’est-à-dire Personne. Si ce n’est pas un homme, c’est tout de même une figure hors du commun, qui a accompli des actions mémorables avant de devenir un exilé volontaire, une sorte de pirate de haut vol, qui s’est assigné la mission de détruire les navires battant un certain pavillon. Et vous n’auriez pas résisté à l’envie de revêtir un scaphandre, de plonger dans l’inconnu et de marcher sur le fond de cette mer pour en découvrir les secrets. Avec vos semelles de plomb aux pieds, vous auriez arpenté sans le moindre effort ces fonds marins et vous auriez découvert des monstres jusqu’alors jamais vus des navigateurs et des paysages inouïs.

Mais ce voyage a aussi un but précis : pénétrer dans l’univers d’un artiste qui a décidé, de connivence avec le capitaine, de vous offrir un spectacle mémorable. Un beau jour (ou une belle nuit, car nous avions perdu toute notion du temps terrestre), le capitaine nous invita à le suivre en un lieu secret. Nous arrivâmes devant une caverne illuminée par des poissons-lunes géants qui avaient été capturés et disposés tout le long des parois, qui projetaient une luminosité trouble. Au fond de cette grotte immense avec mille stalactites et stalagmites effilées comme des poignards, formant une colonnade où se déroulait un ballet incessant de créatures monstrueuses, nous attendait un homme immobile. Il nous fit signe de nous arrêter. Il se dirigea vers une roue énorme qu’il fit tourner. Au fond de cette cavité modelée par des siècles de réactions chimiques acido-basiques se dressaient de grands panneaux ornés de lettrines qui étaient à moitié occultées. L’homme mystérieux actionna un levier, puis un autre, et les lames dont étaient composés ces panneaux se levèrent. Les lignes d’écriture tronquées constituèrent une autre configuration. Puis il abaissa de nouveau ces lourdes barres d’acier et une nouvelle association se présenta à nos yeux. Nous avons seulement pu comprendre que ces textes énigmatiques étaient en caractères latins, mais nous ne sommes pas parvenus à en décrypter le sens. Comme nous ne pouvions pas parler avec notre hôte des abysses marins, il a fallu attendre de retourner au sous-marin et après un déshabillage laborieux, de nous retrouver dans le salon. Un serviteur nous apporta des boissons exotiques et le capitaine Nemo nous présenta l’auteur de ces étranges écritures. Il nous le présenta en ces termes : “Arthur Aeschbacher est un ami de longue date. Nous nous sommes connus sur les bords du lac Léman quand nous étions collégiens. Puis nous nous sommes perdus de vue. Bien des années plus tard, je l’ai sauvé d’une mort certaine car il se trouvait dans un petit canot ballotté sur une mer agitée. Nous avons repris le fil de nos conversations d’adolescents. Et il m’a appris tout ce qui avait changé dans l’art des grandes villes d’Europe et d’Amérique. Il avait renoncé à la peinture, mais pas à la création. Il agençait ses oeuvres en découpant et en superposant des affiches de théâtre d’autrefois. Il voulait exploiter la dimension plastique et chromatique des lettres imprimées. Il lui était venu l’idée de traiter la question en d’autres termes : il avait acheté un stock de persiennes en plastique et y avait disposé des textes qui étaient taillés horizontalement. Donc illisibles. Les mouvements des lames, destinés à faire entrer plus ou moins de lumière, transformaient les relations entre tous ces signes typographiques. J’ai décidé de lui donner la possibilité de réaliser son projet sur une toute autre échelle et avec des moyens ultramodernes. Je vais lui céder la parole car il saura mieux que moi vous expliquer ses intentions.”
“Tout a commencé par mon amour immodéré pour les caractères, les mots, l’odeur de l’encre et la trace de l’impression au plomb qui donne un léger relief au papier. Cela vous semblera dépassé, mais ce sont mes souvenirs qui guident mes gestes et mes réalisations. Toutefois, la procédure que j’ai adoptée me limitait au tableau dans sa forme classique. Je désirais passer à une forme moins conventionnelle. C’est pourquoi j’en suis venu à imaginer ces Stores-Surfaces. Si parmi vous il est des personnes qui s’intéressent à l’art actuel, elles noteront que je tourne en dérision le groupe Supports/Surfaces, qui a eu l’ambition de mettre fin à la peinture telle qu’on la connaît. Au fond, l’idée était assez similaire, mais j’ai utilisé d’autres moyens. L’humour et la dérision jouent un grand rôle dans ma recherche. Elles devineront aussi que j’ai détourné la pratique de l’Optical Art. Ce sont des clins d’œil qui n’échappent à personne. J’ai occulté le texte pour ne conserver que ces fragments de lettres. Et la cinétique m’a permis de miser sur des associations qui sont purement visuelles. Plus de langue, plus de sens, tout du moins de sens par le truchement de l’écriture. Mon écriture imaginaire tend à produire un autre sens et parle à un autre sens.” Un de nos compagnons l’interrompit pour dire : “Au bout du compte, vous reprenez le titre de Paul Claudel L’Œil écoute”. “Pas exactement”, rétorqua A. A., “je veux que l’oeil soit l’organe d’une parole dont il serait le maître absolu. Léonard de Vinci, plagiant Cicéron, a pensé que la peinture devait être l’égale de la poésie. Je compose des poèmes qui bougent et qui se lisent au tréfonds de la rétine. Sans mot dire.”
Les années ont passé. Nemo a achevé son parcours sur cette planète. Mais j’ai vu une présentation de ces fameux stores place Saint-Sulpice. Et j’ai entendu dire hier qu’il se préparait une exposition dans le vieux quartier de Buci. J’espère avoir la chance d’y revoir ce fantasque et fascinant A. A., un artiste qui n’a jamais cessé d’étonned’étonner et de mettre à jour une beauté à la fois moderne et excentrique.


Arthur Aeschbacher
Né en 1923 à Genève, Suisse.
Vit et travaille à Paris.

A. Aeschbacher, élève de Fernand Léger, a étudié successivement à l’école des beaux-arts de Genève, à l’école du Louvre, à l’atelier de la Grande Chaumière et à l’Académie Julian. Il travaille avec des affiches lacérées, pour les utiliser comme matériau pictural. Les lambeaux d’affiches sont utilisés pour des recompositions formelles. Le travail sur la typographie devient, par la suite, le centre d’intérêt de son travail. Son travail sur l’éclatement
de la typographie fait de lui, selon l’expression de Pierre Restany, « un affichiste qui n’est pas nouveau réaliste ».

Expositions personnelles (sélection) :

2015 Collages 1963 - Collages 2015, Galerie Klaus Braun, Stuttgart, Allemagne.
2013 Turn Cut-Pacifico, Galerie Caracole, Puerto Vallarta, Mexique.
2010 Catcheurs Masqués, Galerie Véronique Smagghe, Paris.
2006 A. Aeschbacher, Rétrospective, Les Abattoirs d’Avallon, F. (catalogue, préface par G. G. Lemaire)
2005 Arthur Aeschbacher, Galerie Marion Meyer, Paris. (catalogue, préface par G. G. Lemaire)
1993 Affichisme Revisité, Galerie Olivier Nouvellet, Paris.
1987 Galerie Sonia Zannettacci, Genève, Suisse.
1982 6-4-2, Galerie 30, Paris. (préface par Jérôme Bindé)
1973 15 ans de collages éclatés, rétrospective, Jacques Damase Gallery, Bruxelles, Belgique. (préface par Alain Jouffroy)
1972 Store-Surface, Galerie Germain, Paris.
1971 Galerie Fabien Boulakia, Paris.
1965 Galerie Paul Facchetti, Paris. (préface par Charles Estienne)
1958 Galerie Colette Allendy, Paris.